« Les kawan handiplongeurs »
 

Un article du bulletin d'information sociale de la défense "BuS" N° 63 Octobre 2005

 

Le BuS s'est rendu sur la base aérienne 105 à Evreux à la rencontre d'une équipe de sportifs exceptionnels. Ce n'est pas le palmarès, ni l'importance du nombre des adhérents qui rend ce club si différent, c'est ce qu'il s'y fait et avec qui. Découvrons aujourd'hui le club handiplongeur des "Kawan" ou comment avec la passion de dirigeants et de moniteurs bénévoles, la compréhension et le sens de la solidarité des autorités locales ainsi que l'engagement financiers de partenaires extérieurs, les préjugés peuvent être balayés.

A l'origine, dès 1993,  étaient-les "Trapards ", section plongée du club sportif et artistique  multi-sections de la défense. Pendant quelques temps, ce club accueillit trois plongeurs handicapés qui formaient la section handiplongée  au sein de CSA. Mais forte de son succès, la plongée handisport a dû devenir autonome pour accueillir d'autres sportifs handicapés et assurer son indépendance financière. Les besoins financiers d'une section handisport sont en effet sans proportions avec les autres sections. Ainsi naquit en 2000 au sein de la base 105 un deuxième CSA voué à la handiplongée : les Kawan. Aujourd'hui  "trapards" et "kawan" se partagent en bonne intelligence les mêmes locaux mis à disposition par la base, chacun dans ses créneaux horaires.

 Le club des kawan est une association 1901 affiliée à la FCSAD (Fédération des Clubs Sportifs et Artistiques de la Défense , à la FFH (Fédération Française Handisports) et à la FFESSM  (Fédération Française d'Etudes et de Sport Sous-Marins). Elle est agréée par la direction départementale de la jeunesse et des sports de l'Eure et déclarée Etablissement d'Activité Physique et Sportive (EAPS). Elle compte aujourd'hui 77 adhérents dont 12 handicapés. Le but de l'association est de promouvoir et de développer la plongée subaquatique par tous les moyens appropriés, y compris la recherche scientifique et médicale; en priorité au profit d'un public handicapé.

Pascal Blanchet, secrétaire général de l'association, et Jean-Michel Julien nous expliquent l'origine du nom du club.

"Pourquoi les "kawan" ? Les caouannes sont des tortues de mer géantes. Mal à l'aise sur le sol, elles retrouvent leur autonomie une fois dans l'eau et redeviennent des géantes, un peu comme l'albatros de Baudelaire &Elles symbolisent les handiplongeurs qui comme elles, retrouvent en mer la liberté et l'autonomie qu'ils n'ont pas sur terre. Nous avons adopté pour notre logo une orthographe phonétique qui soit la même pour toutes les langues : kawan".

 

Trois questions à Jean-Michel Julien, président de l'association :

"Les Kawan handiplongeurs"

 

Faire plonger des personnes  qui sont en fauteuil roulant le reste du temps, n'était-ce pas un pari risqué ?

Mais pas impossible. Du côté des handiplongeurs la motivation est là. Ils peuvent s'exprimer et s'épanouir en pratiquant cette activité. Le plus dur à faire, c'est le premier pas.

Du côté de l'encadrement, pour les séances d'entraînement ou nos sorties en mer, un gros potentiel humain est nécessaire.. Chaque plongeur handicapé est assisté de deux moniteurs pour assurer une parfaite sécurité lors de la mise à l'eau, l'immersion et la fin de plongée. Une "équipe de pont" prépare le matériel, équipe et déséquipe les plongeurs. Un accompagnateur (auxiliaire de vie) s'occupe de la personne handicapée pour l'après plongée. Un médecin complète cet encadrement avec un double objectif : garantir la sécurité des plongeurs et recueillir des données médicales sur  les effets de la plongée sur les organismes paraplégiques ou tétraplégiques (température corporelle, tension, taux d'oxygène dans le sang..).

En ce qui concerne les valides, il y a un premier rempart psychologique à franchir, celui de la peur du handicap. Mais une fois cette étape franchie, tout devient possible. De nombreux moniteurs se sont engagés à nos côtés.

Il y a bien sûr des problèmes spécifiques au handicap. Moi-même, j'ignorais avant mon accident que les tétraplégiques étaient plus sujets que les autres à l'hypothermie. C'est pourquoi, nous ne plongeons que dans des eaux chaudes et prenons toutes les précautions. Un comparatif des coûts nous a conduit à choisir l'Egypte et la mer rouge  comme lieu d'excursion pour nos handiplongeurs. Nous avons aussi la garantie d'une eau à 28%. Tous les ans nous y organisons un voyage avec pour but de faire plonger nos handiplongeurs en milieu naturel. C'est l'occasion pour l'association de communiquer un savoir-faire rare prenant en charge la formation de moniteurs de plongée en mer.

Mais l'obstacle le plus évident pour nous est l'accessibilité. Partir en voyage lorsque l'on est valide, c'est une formalité. Pour une personne en fauteuil roulant, c'est la croix et la bannière : il faut trouver la compagnie aérienne qui accepte de prendre en charge la personne handicapée et les conditions d'hébergement  lieu d'accueil sur place qui dispose des équipements nécessaires, et les transports (bateau adapté) vers les sites de plongée.

 

Handicap maximal autorisé : tétraplégie C6

Durée limitée d'immersion : 20 mm

Profondeur maximale : 10 m

Assistance de deux valides par handiplongeur

Surveillance de l'hypothermie (chute de température de 2 à 3°).

Comment peut-on devenir moniteur de plongée handisport ?

Régulièrement, l'association organise des stages C1 et C2 de formation handisport qui s'adressent à l'encadrement  subaquatique. Il y a quatre niveaux de formation : moniteur en piscine (C1, jusqu'à 6m), moniteur en mer (C2, jusqu'à 20m); formateur (C3), formateur de formateur (C4) gérés par le département formation de la Fédération Française Handisport. La formation est d'autant plus difficile que les pathologies des handiplongeurs sont différentes. La piscine de la base 105 est adaptée pour accueillir des cessions de formation C1.Le stage C1 dure deux jours et comprend

Ø            une partie théorique : aspects médicaux, cadre réglementaire de l'accessibilité, présentation de la FFH, statut du handicapé dans le tissu social, aspect réglementaire de la plongée handisport, aspect et adaptation du matériel en fonction des handicaps

Ø          et une partie pratique         : Mise en situation des moniteurs stagiaires,  préparation plongée, manutention et précaution, plongée avec des handiplongeurs.

Les Kawan organisent aussi avec le comité interrégional de handisport de Normandie (CIHN) des stages de formation C2 de 4 heures en Egypte. Les moniteurs se forment et les handiplongeurs ont là l'occasion de pratiquer leur sport dans des conditions optimales. La plongée handisport relève d'une convention entre la FFH et la FFESSM. Ainsi les moniteurs doivent avoir les deux licences.

Gilles, moniteur bénévole de plongée :

"Comment je suis arrivé chez les kawan ? Avant j'étais moniteur de karaté. Suite à un accident de ski, j'ai été confronté à la rééducation, j'ai fait un séjour en « thalasso » & Là j'ai découvert  ce qu'était le handicap, j'ai pris conscience de la déchéance physique, j'ai eu envie de faire quelque chose. J'ai du renoncer au karaté mais je me suis mis à la plongée. Dans la foulée, j'ai passé mon monitorat de plongée, puis mon monitorat handisport, et me voilà !"

 

Les kawan sont un bel exemple de solidarité et de coopération entre les valides et ceux qui ne le sont plus. L'avenir du handisport passe-t-il par ce type de coopération ?

Il y a trois fédérations délégataires mais aucune ne prend pas en compte l'activité plongée pour l'ensemble des handicapés:  la FFH cible ses activités sur des handicaps physiques et visuels, la Fédération Française des sourds (FFS) n'est pas concernée puisque les sourds plongent avec les valides, et le sport adapté au handicap mental et intellectuel (SAHMI) ne prend pas en compte la plongée.. Cela fait réfléchir aux multiples possibilités qu'il y aurait si les fédérations sportives ouvraient une section handisport de la même façon qu'elles ont, en leur temps, ouvert un section féminine ou une section enfant. Le handisport serait sorti de son ghetto &.

Chez les Kawan, les enfants partagent les mêmes créneaux horaires que les adultes handicapés et les plus grands, solidaires de leurs aînés, deviennent de fait des "cadres de pont" (diplôme délivré par l'association après une formation) qui assistent les handiplongeurs. Le handicap est ainsi "démythifié" et les familles y sont sensibilisées. Il y a 16 enfants inscrits cette année.

L'avenir du sport passe forcément par des coopérations, à commencer par toutes celles qui n'existent pas encore et qui tourneraient autour de l'aide technique liée à la compensation du handicap. Cela peut paraître étonnant, mais cet aspect n'a jamais fait l'objet d'études  sérieuses (il y aurait un grand enseignement à voir ce qui se fait dans ce domaine en Espagne, en Allemagne, dans les pays nordiques). Pourtant de la compensation du handicap découle la faisabilité de toutes les activités de la personne handicapée.  Il y a bien sûr la pratique du sport de haut niveau ou non, mais aussi les activités de loisirs en général et celles qui concerne un public particulier, comme les Kawan. Les loisirs de vacances demandent que les gîtes soient aux normes, mais aussi qu'il y ait un accompagnateur formé pour partager avec un personne handicapée (et son accompagnateur) son amour de la pêche, de la randonnée, de la flore ou du patrimoine culturel de la région, par exemple. Il y a tant à faire ...

 

Tout cela demande compensation financière, la personne handicapée ne devant pas payer plus cher que la personne valide. Aujourd'hui nous n en sommes pas là et une personne qui ne touche que l'AAH (allocation adulte handicapée) est très loin de pouvoir se payer un sport ou des vacances adaptées &Alors pour la poursuite de nos activités, toutes les contributions financières ou bénévoles sont bienvenues &

Je reste optimiste car les choses malgré tout évoluent. Il y a quinze ans, un handicapé n'avait pas d'autre alternative que le centre. Il était captif. Avec les progrès de la rééducation, le retour au domicile a été rendu possible. Maintenant, il faut ouvrir les structures et rendre les chances plus égales. La prochaine étape serait d'ouvrir l'accès des handicapés dans la vie sociale sans que  le fauteuil ne soit un obstacle.

 

Interview réalisée par Marie-Odile Corsetti

 

Pour les contacter :